Discours de Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture et de la Communication, prononcé à l’occasion de la remise officielle des deux glaives du roi Jérôme volés au château de Fontainebleau en 1995

Auteur(s) : MINISTÈRE DE LA CULTURE ET DE LA COMMUNICATION
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Monsieur le Directeur général,
Madame la Directrice,
Monsieur le Directeur central de la Police judiciaire,
Monsieur le Directeur régional de la Police judiciaire de Versailles,
Mon Colonel,
Mesdames, Messieurs,

Chers amis
Nous n'avons gardé que peu de mémoire du règne éphémère de JÉRÔME
dans le royaume de Westphalie, ce royaume créé par son frère aîné
NAPOLÉON, et dont le nom seul fait songer au célèbre traité qui posa les
bases d'une nouvelle Europe, en 1648. JÉRÔME en fut le souverain entre
1807 et 1814 : sept ans – un chiffre symbolique – sept ans seulement
durant lesquels il régna, sans être jamais officiellement couronné, durant
lesquels les attributs royaux furent d'autant plus affichés qu'ils renvoyaient à
un pouvoir de peu de poids, voire de peu de réalité. Il était un peu comme
un prince de théâtre ou de comédie, un souverain sans couronne, un prince
d'Aquitaine au royaume aboli…
Ce caractère fugace et transitoire du royaume de Westphalie nous rendait
plus sensibles encore à la nostalgie de la disparition de ces deux glaives,
dérobés au Musée Napoléon de Fontainebleau il y a maintenant 15 ans,
dans la nuit du 30 au 31 décembre 1995. Ils étaient les emblèmes parfaits
d'un royaume lui-même quasiment rêvé.
Mais le roman n'était pas fini. Et au romantisme napoléonien a succédé une
enquête digne d'un roman policier de très haute facture, qui nous montre à
quel point, comme souvent, la réalité dépasse la fiction.
Car les glaives, vous le savez, ont été retrouvés au terme de patientes
recherches, d'une enquête et d'une traque minutieuses menée par l'Office
Central de lutte contre le trafic des Biens Culturels (l'OCBC) et en particulier
par son directeur, le Colonel Stephane GAUFFENY que nous avons le
plaisir de recevoir aujourd'hui, ainsi que de ses hommes bien sûr, avec le
concours des agents de la Direction régionale de la police judiciaire de
Versailles et de leur directeur, Philippe BUGEAUD, placés sous l'autorité
vigilante du Directeur central de la Police judiciaire, Christian LOTHON,
dont je salue également la présence parmi nous aujourd'hui.

Je tiens à remercier chacun d'eux pour leur dévouement exemplaire qui a
rendu possible cet heureux dénouement. Je voudrais saluer également la
mémoire du Commandant Bernard DARTIES, Chef-adjoint de l'OCBC, pour
sa mobilisation et son implication dans cette affaire.

Ce succès démontre l'efficacité remarquable des services de police et
manifeste qu'elle sait restituer à la nation, au public, des chefs-d'oeuvre de
nos collections qui leur avaient été frauduleusement soustraits.

Pour cette cérémonie de remise des deux glaives, juste avant leur retour
au Musée de Fontainebleau, le choix de ce salon Jérôme, ici au Ministère
de la Culture et de la Communication, s'imposait comme une évidence, et
j'ai tenu à l'ouvrir personnellement pour marquer de la façon la plus
solennelle – et en même temps la plus amicale – mon attachement à
l'intégrité de notre patrimoine et ma reconnaissance à ses défenseurs
acharnés et méticuleux. Pour un bref instant, il nous est donc donné de
contempler ces glaives près du portrait du prince, dans ce lieu qui fut son
salon sous le Second Empire, longtemps après le tumulte de l'épopée
napoléonienne, où il s'était illustré, dans sa jeunesses en maniant d'autres
armes, sabres et épées, jusqu'à recevoir en récompense un royaume.

Ces deux glaives d'apparat, pièces d'orfèvrerie exceptionnelles de la main
de Martin-Guillaume BIENNAIS, témoignent d'un savoir-faire digne des
meilleurs maîtres d'art, et nous ne pouvons qu'admirer le travail ouvragé
de leur poignée et de leur fourreau, ainsi que la finesse des pierres qui les
sertissent (il s'agit, me semble-t-il, de « chrysoprases », une forme de
quartz – je parle sous le contrôle de spécialistes, notamment ceux de la
police judiciaire qui sont bien, je crois, « Orfèvres » en la matière…). Ces
chefs-d'oeuvre, je me réjouis qu'ils retrouvent nos collections et que
chacun puisse bientôt les admirer de nouveau au Château de
Fontainebleau.

Ces deux glaives, le « glaive royal de cérémonie », simple accessoire de
parade, comme son nom l'indique, et le « glaive royal de Westphalie »,
que l'on retrouve dans plusieurs portraits de Jérôme, font un peu songer à
ceux du Serment des Horaces de DAVID, mais ils ne sont pas
uniquement les attributs fastueux de l'apparence du pouvoir. Ils se
voulaient aussi, je crois, des symboles de l'union de la force et du droit, à
la fois le glaive du guerrier et celui de la justice. Ils illustrent, à leur
manière contrariée par l'Histoire, cette France « mère des arts, des armes
et des lois » chantée par DU BELLAY, dont nous célébrons d'ailleurs cette
année l'anniversaire (450 ans de la mort). Ils illustrent le fameux fragment
de Blaise PASCAL intitulé « Justice force » : « La justice sans la force est
impuissante ; la force sans la justice est tyrannique ». J'ai envie d'ajouter
qu'aujourd'hui devant des enquêteurs aussi sagaces et efficaces que sans
les forces de l'ordre, la culture aurait été bien impuissante…

Ces deux armes d'apparat sont donc des fragments d'Histoire de France
que vous nous restituez, un peu à l'image de ce qu'a conservé d'inachevé
l'épopée napoléonienne, ainsi d'ailleurs que son dernier soubresaut que
fut le Second Empire.

Cher Jean-François HEBERT, en attendant peut-être une épée
d'académicien – de mon côté, comme tout ministre je songe plutôt,
parfois, à l'épée de Damoclès… j'y pense et puis j'oublie…–, je vous
confie donc très chaleureusement ces deux glaives et je me console de
ces « adieux de Fontainebleau » ou plutôt de ces adieux pour
Fontainebleau, en conservant au moins le portrait de Jérôme dans ce
salon qui porte son nom et où j'ai le grand plaisir de recevoir des
fonctionnaires qui, par leur dévouement et leur efficacité, ont bien mérité
de cette épopée nationale dont ils ont aidé à mieux connaître l'Histoire.
Je vous remercie.

 
20 janvier 2010

 
A lire le communiqué de presse du Ministère de la Culture et de la communication du 20 jnavier 2010
 
A consulter la fiche iconographique des deux glaives

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