Une chronique d’Olivier Baustian : le royaume de Westphalie et le système continental 1807-1813. Avant-garde de l’Empire français ou allié malgré lui ?

Auteur(s) : BAUSTIAN Olivier
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« Le devoir de la Westphalie est de surveiller tout ce qui pourrait être contraire aux intérêts de l’Empire français et de ses alliés, à la Confédération du Rhin et au système continental adopté contre l’Angleterre. »

Une chronique d’Olivier Baustian : le royaume de Westphalie et le système continental 1807-1813. Avant-garde de l’Empire français ou allié malgré lui ?
Serment au drapeau westphalien à Fontainebleau

C’est en ces termes sans équivoque que Pierre-Alexandre Lecamus (1774-1824), ministre-secrétaire d’État et ministre des Relations extérieures du royaume de Westphalie résume ses instructions diplomatiques pour les ambassadeurs westphaliens. Créé par Napoléon pour servir de modèle libéral aux États membres de la Confédération du Rhin et de marche militaire contre la Prusse vaincue, le royaume de Westphalie reste encore un des alliés de la France napoléonienne les moins connus en France. Sa création lors du traité de Tilsit en 1807 pour le jeune Jérôme Bonaparte (1784-1860) fut précédée par l’occupation militaire du Hanovre, ancienne possession britannique en Basse-Saxe, à la fin de la brillante campagne du futur maréchal Édouard Mortier (1768-1835) au printemps 1803. Conçu comme un avant-poste militaire et culturel de l’Empire français en terre germanique, le bilan de cet « allié malgré lui » reste cependant mitigé. La faute n’en est pas à Napoléon seul. Basée sur l’étude d’importants fonds d’archives inédits, cette histoire du royaume de Westphalie en regard des impératifs du système continental nous invite à repenser la politique hégémonique de l’empereur. L’opposition systématique de la classe dirigeante, noblesse et fonctionnaires allemands, contribua en grande partie à l’échec de l’intégration de la Westphalie dans le système continental.

Dans un premier temps, le changement de régime apporta une bouffé d’oxygène dans la région :  la cour royale à Cassel, capitale du royaume, devint en peu de temps une vitrine des beaux-arts et du luxe français. Le roi Jérôme s’empressa de calquer sa cour sur celle des Tuileries impériales, faisant fi des ordres de son frère de prendre la sobriété des cours princières allemandes pour modèle. Plusieurs centaines de Français, des militaires, courtisans, artistes, commerçants et gastronomes, vinrent s’installer dans les grandes villes du royaume. Avec eux viennent le progrès économique et un air de liberté : la nouvelle culture des betteraves devint vite un franc succès. La concurrence des manufactures parisiennes, qui firent de la Westphalie la chasse gardée de leur commerce, stimula l’essor des manufactures westphaliennes, comme en témoignent l’établissement d’une manufacture de laine de cachemire et l’essor de la seule manufacture de porcelaine du royaume sous la direction du céramiste lorrain Louis Victor Gerverot (1747-1829). D’autres réformes économiques, notamment le droit des patentes, libéra l’artisanat local des contraintes du système séculaire des corporations et métiers.

Mais le statut d’allié-modèle fut à double tranchant : ce royaume, situé entre le littoral de la mer du Nord et les principautés de l’Allemagne méridionale, peu industrialisé comme la plupart des États de la Confédération Rhin excepté le grand-duché de Berg, représentait un important maillon stratégique du système continental voulu par Napoléon en Allemagne. Le défi est donc de taille pour le nouvel État-modèle, mais la classe dirigeante n’assume pas la responsabilité qu’il implique : jadis une plaque tournante pour le commerce maritime des villes hanséatiques avec l’Angleterre, ces dernières paralysées depuis 1806 par l’embargo des ports continentaux, la Westphalie devait se plier à la volonté impériale et devenir un bouclier contre la contrebande britannique en Allemagne. Mais à la surprise de l’empereur les dirigeants de cet avant-poste de son Empire firent vite preuve de mauvaise foi et se montrèrent même bientôt ouvertement hostile à la mise en vigueur des décrets impériaux contre le commerce britannique. Ainsi, en 1809, le préfet du département de la Weser (Osnabrück) demande au roi Jérôme de lui envoyer des forces armées pour empêcher les préposés aux douanes impériales de faire respecter le blocus continental dans le nord de l’Allemagne. Au lieu de soutenir la France dans la guerre contre l’Angleterre et d’établir à ce but des barrières étanches le long des frontières du royaume, le ministre des Finances, le comte Hans von Bülow (1774-1825), cousin du puissant ministre prussien Hardenberg, néglige l’organisation des douanes westphaliennes et encouragea même l’administration fiscale à fermer les yeux sur le trafic de marchandises prohibées par les décrets impériaux. Lorsqu’à l’hiver 1809 un des Français affectés à la Haute Police du royaume signala la saisie d’importantes quantités de marchandises britanniques chez les commerçants de la ville de Brunswick, il se fit faire la leçon par Bülow qui prétendit que les décrets français sur la prohibition des marchandises anglaises ne s’appliquaient pas aux marchandises déjà introduites dans le royaume ! À peine un an plus tard, lorsque Napoléon menaça même d’envoyer les troupes sous le commandement du maréchal Davout le long de l’Elbe, afin de contrer la contrebande des marchandises provenant des ports baltiques, Bülow établit à contrecœur un conseil des prises à Cassel. Pour le rendre aussi inefficace que possible, il établit par le même décret une commission des douanes à Magdebourg dont le seul objectif est de faire lever les saisies faites par la gendarmerie locale le long de la frontière avec la Prusse. En 1813, la douane westphalienne comprit à peine 170 douaniers, littéralement une goutte d’eau dans la mer, si l’on compare ce chiffre extrêmement bas aux 368 douaniers impériaux établis depuis 1811 sur le seul littoral du petit duché de Mecklembourg-Schwerin ou aux 1.400 douaniers entre le Rhin et Lubeck avant la réunion des villes hanséatiques à l’Empire la même année. L’annexion du littoral westphalien à la France en décembre 1810 fut en principe provoquée par les entraves sans nombre de la part de la politique westphalienne dans « la guerre commune » contre l’Angleterre.

Si l’empereur réussit finalement à maintenir l’embargo par ces annexions et privilégia même le commerce westphalien pour redonner de l’essor à ces trois nouveaux ports français en accordant dès février 1812 des licences de navigations aux ports de Hambourg, Brême et Lubeck portant sur l’exportation de marchandises et denrées westphaliennes, il n’en reste pas moins que l’opposition tenace de la classe dirigeante westphalienne contre le blocus symbolise à elle seule l’échec de l’intégration de la Westphalie dans le système français.

Olivier Baustian (juin 2024)

Juriste de double formation, docteur en droit et avocat spécialisé dans le droit de la propriété industrielle et intellectuelle, historien et chercheur, Olivier BAUSTIAN est un expert renommé des relations franco-allemandes sous les deux Empires. Conférencier, ancien boursier de la Fondation Napoléon, il publie les résultats de ses recherches historiques notamment dans la presse napoléonienne. Son dernier ouvrage paraît cette année avec le soutien de la Fondation Napoléon aux éditions S.P.M. Kronos : Le royaume de Westphalie et le système continental 1807-1813 – Avant-garde de l’Empire français ou allié malgré lui ?

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