Une chronique de Vincent Hadot : « Les dons et donations au musée de Malmaison révèlent une histoire sensible du musée à travers l’apport de la générosité privée »

Auteur(s) : HADOT Vincent
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Une chronique de Vincent Hadot : « Les dons et donations au musée de Malmaison révèlent une histoire sensible du musée à travers l’apport de la générosité privée »
Vincent Hadot, conservateur au musée national des châteaux
de Malmaison et de Bois-Préau © V. Hadot

Le musée national du château de Malmaison, ouvert en 1905 après l’extraordinaire don du château par le mécène bordelais Daniel Iffla-Osiris, n’a jamais cessé de fédérer au-delà des partis et des frontières, tant les traces qu’y ont laissées Napoléon et Joséphine sont palpables et magnifiques. Cet intérêt populaire pour Malmaison et le souvenir de ses propriétaires s’est manifesté dans l’histoire du musée par l’importance des donateurs qui ont généreusement aidé à développer les collections de ce site qui a la particularité d’être un sanctuaire du souvenir napoléonien tel que le démontrait implicitement l’impératrice Eugénie, donatrice-pionnière, en y installant en 1913 le mausolée à la mémoire de son fils, le Prince Impérial.

Fort de ce constat sur l’importance des dons dans l’histoire de ce musée national (la maison natale de Bonaparte à Ajaccio et les musées de l’île d’Aix sont également entrés dans le domaine national par voie de don), nous nous sommes engagés dans l’entreprise de documenter les dons à Malmaison pour comprendre l’histoire matérielle des collections, leur provenance, et les raisons de ces nombreux gestes de générosité. Ces histoires écrivent à elles seules une histoire sensible du musée à travers l’apport de la générosité privée. Au-delà de la démarche historique, ce travail répond à une mission fondamentale des musées qui touche à la recherche de provenance des collections. L’exposition au château de Bois-Préau présente un échantillon des dons au musée national depuis sa création jusqu’aux donations exceptionnelles consenties par le prince Napoléon, son épouse et sa sœur, comtesse de Witt, en 1979. Les dons offrent l’occasion de parler d’histoire matérielle, de rapport affectif aux objets, du soin apporté à leur conservation durant plusieurs siècles, et des raisons profondes qui ont poussé leurs propriétaires à s’en dessaisir au profit public. Comme l’écrit Élisabeth Caude, directrice du service à compétence nationale, dans le catalogue d’exposition, « ce mouvement de générosité si dynamique à Malmaison, expression de la passion napoléonienne, ne serait-il pas la forme moderne de la légende napoléonienne, déjà si protéiforme au XIXe siècle ? »

« Trésors et curiosités. Hommage aux donateurs de Malmaison (1905-1980) » propose de cheminer au sein des sociétés de passionnés qui ont offert à la France des souvenirs que certains avaient pourtant pieusement conservés comme de véritables reliques. L’exposition et son catalogue permettent de mesurer l’apport des premiers donateurs du musée, puis de voir l’attachement familial des Bonaparte et celui des descendants des serviteurs de l’Empire envers Malmaison. Le propos projette ensuite dans la passion internationale pour le couple légendaire que formaient Napoléon et Joséphine avant d’explorer plusieurs « catégories » de donateurs : les artistes, les défenseurs de la partie, les grands donateurs des musées nationaux, etc., et la société des Amis de Malmaison au soutien précieux et inaltérable. Le parcours s’achève par des reliques mythiques données par la famille Napoléon avant d’ouvrir sur la dynamique toujours aussi forte des dons après les années 1980 et de rappeler les patronymes des 700 donateurs qui ont participé au développement et au rayonnement des collections de Malmaison.

Parmi les œuvres offertes à Malmaison au destin étonnant, on relève ainsi la tapisserie des Gobelins figurant le Portrait de l’impératrice Joséphine à Malmaison d’après François Gérard qui incarne la rémanence du don. Commandé par Napoléon Ier pour les étrennes d’Hortense en 1810, ce cadeau est à la fois un portrait de famille et un ouvrage d’art splendide ; il relève de la sphère de l’intime. La tapisserie orna la résidence de la reine Hortense à Arenenberg jusqu’à son décès en 1837. Elle figure ensuite à Rome chez son ancienne dame de compagnie, madame Salvage de Faverolles, qui la lègue à Napoléon III en 1854. L’identité de sa donatrice en 1930, la princesse de Croÿ, permet de deviner le destin de l’œuvre. Hortense de Croÿ est la petite-fille de Charles de Tascher, filleul de Joséphine, dont le grand-père repose auprès d’elle dans l’église de Rueil. Chambellan de l’impératrice Eugénie, Charles de Tascher porte en 1859 le titre de « duc héréditaire », reconnaissant officiellement sa parenté avec Napoléon III. Il est probable que la tapisserie lui a été donnée entre 1854 et 1867. Le Portrait de l’impératrice Joséphine à Malmaison n’a donc changé que six fois de mains en 220 ans et a fait à deux reprises d’un don impérial à un parent proche.

L'impératrice Joséphine, tapisserie d'après François Gérard, musée national de Malmaison et Bois-Préau © GrandPalais-RMN René-Gabriel Ojeda
L’impératrice Joséphine, tapisserie d’après François Gérard, musée national de Malmaison et Bois-Préau © GrandPalais-RMN René-Gabriel Ojeda

En parallèle, le pied-de-roi offert par le grand-duc Mikhaïlovitch en 1912 témoigne de ces objets rescapés de l’histoire qui ont parcouru le monde avant de revenir à leur source. Frédéric Louis Cuny, un cadet hollandais, dérobe l’objet en 1815 à Malmaison en guise de souvenir et l’emporte à Tournai. Il le ramènera en région parisienne autour des années 1850. Cuny conserve sa relique pendant sept décennies. Il meurt en 1884 à Levallois-Perret, et l’objet est transmis à sa petite-fille qui entreprend de donner ce souvenir vers 1890 au baron viennois Nathaniel de Rothschild, avec lequel elle cherche visiblement à soigner ses relations. Le baron envisage de se dessaisir de l’objet en 1898, après avoir perdu contre le grand-duc Mikhaïlovitch, sur son yacht à Cannes, un pari dont le gage se devait d’être « un objet sans autre valeur que de souvenir, d’histoire ou de curiosité ». Rothschild empaquette l’objet en 1898 et l’accompagne d’une note détaillant son histoire, mais l’envoi n’a pas lieu. C’est bien après la mort du baron, en 1905, que le paquet est expédié par sa famille au grand-duc, à Borjomi, en Géorgie. De cet objet qu’il a reçu comme un souvenir, le grand-duc choisit d’en faire son premier don à Malmaison en 1912, année du centenaire de la campagne de Russie. En moins d’un siècle, la règle et le compas de Napoléon n’ont changé que quatre fois de main mais ont parcouru plus de 8 000 km : ce sont des rescapés de l’Histoire. Jamais ils ne furent vendus. L’objet, reçu en don, avait pris symboliquement valeur de don. Il aurait été déplacé de faire commerce d’un tel cadeau. Un don reste un don.

Règle à trois graduations aux extrémités, une pointe sèche, un tire-ligne, musée national des châteaux de Malmaison et Bois-Préau © GrandPalais RMN / Franck Raux
Règle à trois graduations aux extrémités, une pointe sèche, un tire-ligne, musée national des châteaux de Malmaison et Bois-Préau © GrandPalais RMN / Franck Raux

L’exposition et son catalogue présentent près de 200 histoires de dons parmi les milliers de souvenirs offerts par près de 700 donateurs et familles de donateurs désormais clairement identifiés. L’occasion de leur rendre hommage et de partager leur engouement !

Vincent Hadot, commissaire de l’exposition et conservateur au château de Malmaison
juin 2024

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Exposition au château de Bois-Préau « Trésors et curiosités, hommage aux donateurs (années 1900-1980) »
Du 5 avril au 8 juillet 2024, au Château de Bois-Préau, une exposition est consacrée aux pièces emblématiques provenant des 700 donateurs qui ont participé à la création et au développement des collections du musée du château de Malmaison. À travers une sélection variée, le visiteur est invité à regarder derrière l’objet, son histoire matérielle et à revivre les aventures qu’il a traversées pour arriver jusqu’à nous.

En savoir plus sur le site du musée.

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