Une chronique de Chantal Prévot : « Pantalon et jupon, quand le vêtement faisait le sexe »

Auteur(s) : PRÉVOT Chantal
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À lire la presse et internet, l’affaire semble entendue : Napoléon a banni le pantalon. Pour les femmes s’entend bien sûr, et pour leur signifier que la Révolution était terminée. De même que la rime est facile (l’interdiction du pantalon par Napoléon), le raisonnement apparaît simple et compréhensible, dans la droite ligne des prises de position peu enclines à l’émancipation féminine. Qu’en est-il réellement ?

Une chronique de Chantal Prévot : « Pantalon et jupon, quand le vêtement faisait le sexe »
Chantal Prévot © Fondation Napoléon / Rebecca Young

En premier lieu, ce n’était pas une loi et Napoléon n’était nullement intervenu. Il s‘agissait en fait d’une « ordonnance concernant le travestissement des femmes » prise le 7 novembre 1800 (16 brumaire an IX) et signée par le préfet de Police de Paris Louis-Nicolas Dubois, concernant donc seulement la capitale et les communes de Saint-Cloud, Sèvres et Meudon. Le texte n’interdisait pas frontalement le port du pantalon, mais exigeait pour toute femme désirant s’habiller en homme le renouvellement de leur autorisation préfectorale, assortie d’une attestation de domicile signée par le maire ou le commissaire et un certificat médical prouvant la nécessité pour sa santé. En cas d’infraction, la femme était arrêtée. Au commissaire de juger si une réprimande suffisait ou si la justice devait s’en mêler en envoyant la contrevenante en prison, pour une peine dont les graduations n’étaient pas mentionnées.

Autre précision d’importance, le texte prenait place dans une succession d’édits municipaux et de décrets promulgués depuis l’Ancien Régime et continués sous la Révolution : tous interdisaient expressément de se travestir, c’est-à-dire de se vêtir d’un habit non attribué à son sexe. La tension fut à son comble à l’automne 1793. Après avoir obtenu l’obligation du port de la cocarde tricolore par les femmes à l’instar des hommes sous peine de devenir « suspects » » et d’être potentiellement emprisonnés, la société des Républicaines révolutionnaires voulait l’étendre au bonnet phrygien. Les militantes tentèrent de solliciter le soutien des dames de la Halle qui leur firent savoir assez durement qu’elles ne désiraient pas les suivre sur cette voie, pas plus que d’adopter le pantalon qui aurait été la prochaine étape d’après des rumeurs. La rencontre se termina par des coups et la co-fondatrice du club, Claire Lacombe, reçut le même châtiment que Théroigne de Méricourt en mai de la même année et bien des religieuses, à savoir une fessée révolutionnaire.

L’échauffourée inquiéta jusqu’à l’Assemblée qui fit voter aussitôt après, le 29 octobre 1793 (8 brumaire an II) un décret dont le premier paragraphe instituait que d’une part Nulle personne, de l’un ou de l’autre sexe, ne pourra contraindre aucun citoyen ni citoyenne à se vêtir d’une manière particulière [exceptée la cocarde nationale bien entendu], et d’autre part, chacun est libre de porter tel vêtement et ajustement de son sexe que bon lui semble. Mais de son sexe uniquement, le travestissement était d’ailleurs réprimé dans le second paragraphe. Porter un pantalon d’homme pour une femme était donc à ses risques et périls, car elle serait poursuivie comme perturbateur du repos public.

Le décret de 1793 a-t-il été suivi d’effet ? Les archives étant partielles, il n’est pas possible d’établir une vision globale, mais les quelques cas concrets parvenus jusqu’à nous montrent son application. Le 6 août 1794, Marie-Marthe Bertin, 18 ans, était arrêtée car elle portait un uniforme de sergent et sortait d’une caserne où elle était venue demander une pension après trois années de service. La peine se réduisit à une interdiction de porter cet habit en public. En juillet 1795, Adélaïde Bertin (sans lien de famille a priori avec la contrevenante précédente), habillée en homme, fut amenée à la prison de la Petite-Force. Elle se défendit, disant que muletier dans l’armée depuis trois ans, elle avait obtenu l’autorisation. On ne sait si elle a bénéficié de la même clémence que son homonyme.

En 1800, ce n’était donc pas une interdiction innovante du port du pantalon, mais une rationalisation d’une condamnation traditionnelle selon la pensée de l’époque. Paraître dans les habits de l’autre sexe brouillait les frontières entre eux. Quel fut son impact ? Comme pour le décret de la Convention, il est difficile de répondre à cette question, le dossier « travestissement » des archives de la Préfecture de police relatif aux demandes et aux autorisations accordées de s’habiller comme un homme est hélas très incomplet. La plus ancienne requête conservée date du 17 septembre 1806, de la part de mademoiselle Catherine-Marguerite Mayer, pour monter à cheval, et porte le numéro 167. Est-ce à dire, qu’en moyenne annuelle, une trentaine de demandes ont été faites durant les six premières années du siècle ? À partir de 1890, plus aucune demande n’est répertoriée, le texte tombant en désuétude.

L’ordonnance préfectorale de Dubois revint sur le devant de la scène médiatique en 2012, jusqu’à faire l’objet d’une demande d’abrogation par un sénateur. Le ministère des droits de la femme, lui répondit, fort logiquement, que ce n’était pas une loi et que le texte était de plus dépourvu de tout effet juridique depuis longtemps. Il semble que l’affaire en resta là en terme législatif, mais connut une revue de presse abondante, enchantée d’un tel sujet porté médiatiquement par le nom de Napoléon.

Chantal Prévot, responsable des Bibliothèques de la Fondation Napoléon, est également l’auteure de : Le sexe contrôlé. Être femme après la Révolution (Passés/Composés, 2024)

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