Dans une série consacrée aux autopsies célèbres, le journal quotidien Le Monde revient sur la mort de Napoléon dans un article du 22 août 2013 écrit par Sandrine Cabut et intitulé « Napoléon Ier : les mystères d'une tumeur impériale ». En voici le début :
Dix-sept personnes dont huit médecins présents lors de son autopsie, sur l'île britannique de Sainte-Hélène ; pas moins de cinq comptes rendus de cet examen post mortem ; moult travaux scientifiques, articles, ouvrages… et toujours pas de certitude sur les causes de la mort de Napoléon Ier. Presque deux cents ans après son décès, survenu le 5 mai 1821, à l'âge de 51 ans, le dossier médical de l'empereur suscite toujours des débats passionnés parmi les historiens, médecins et chercheurs.
Tuberculose, syphilis de l'estomac, épilepsie, ulcère ou cancer gastrique, et même empoisonnement à l'arsenic… En deux siècles, « à partir du rapport d'autopsie, des Mémoires des témoins et d'autres éléments plus ou moins établis par la documentation, un nombre incalculable d'hypothèses ont été émises sur les causes de la mort de Napoléon », écrivent les historiens Thierry Lentz et Jacques Macé dans La Mort de Napoléon (Perrin, 2012). Ces derniers démontent notamment la thèse « empoisonniste » née dans les années 1960 à la suite d'analyses de cheveux de l'empereur.
C'EST NAPOLÉON LUI-MÊME QUI A DEMANDÉ À ÊTRE AUTOPSIÉ
Le 6 mai 1821, vingt heures après avoir rendu son dernier soupir au terme de huit semaines d'agonie, Napoléon passe sous le bistouri de Francesco Antommarchi. Le chirurgien corse, légiste expérimenté, est son médecin traitant depuis près de deux ans. C'est Napoléon lui-même qui a demandé à être autopsié, afin que son fils, le roi de Rome, soit averti si une tumeur héréditaire était décelée.
En exil depuis 1815 sur ce petit îlot volcanique au milieu de l'Atlantique sud qu'est Sainte-Hélène, l'empereur, qui se plaignait souvent de douleurs digestives, était obsédé par l'hypothèse d'un mal familial. Son père était mort à moins de 40 ans d'un « squirre » (une tumeur) du pylore.
Le premier compte rendu d'Antommarchi, daté du 8 mai, est relativement court et tient en seize points. Son contenu, et celui des autres rapports, sont reproduits dans l'ouvrage des médecins Jacques Bastien et Roland Jeandel, Napoléon à Sainte-Hélène. Etude critique de ses pathologies et des causes de son décès, Le Publieur, 2005. Le coeur et les poumons sont jugés en bon état, le foie « engorgé et d'une grosseur plus que naturelle ».
Mais ce sont surtout les nombreuses anomalies au niveau gastrique que pointe le légiste. L'estomac est « rempli en partie d'une substance liquide noirâtre, d'une odeur piquante et désagréable » (du sang en voie de décomposition), et il est le siège d' »un ulcère cancéreux fort étendu » avec un « trou » (perforation) de 6 mm de diamètre. Les deux autres comptes rendus, rédigés dans les jours suivant l'autopsie – l'un signé par cinq médecins anglais, l'autre par l'adjoint du gouverneur de Sainte-Hélène –, sont concordants à quelques nuances près avec celui d'Antommarchi.
A l'époque, les diagnostics ne reposent que sur l'examen macroscopique, c'est-à-dire à l'oeil nu, des tissus. Ce n'est que quelques décennies plus tard que se développera l'anatomopathologie (analyse au microscope), qui permet d'affirmer avec certitude la nature des lésions.
DEUX RAPPORTS D'AUTOPSIE RÉDIGÉS ULTÉRIEUREMENT SÈMENT DES DOUTES
Dans le cas de Napoléon, la messe semble dite : c'est une maladie de l'estomac qui l'a emporté, même s'il est impossible de trancher formellement entre cancer et ulcère bénin. Mais deux rapports d'autopsie rédigés ultérieurement sèment des doutes. L'un, signé par le chirurgien britannique Walter Henry en 1823, est le seul à décrire un aspect efféminé de l'empereur. « La verge, les testicules étaient forts petits et l'ensemble de l'appareil génital paraissait expliquer l'absence de désir sexuel et la chasteté qui dit-on aurait caractérisé le défunt », ajoute-t-il. Pure invention d'un Anglais pour ridiculiser post mortem un ennemi vaincu, ou réalité occultée par pudeur par les autres médecins ? Ces traits féminins, dont semble-t-il s'amusait Napoléon lui-même, ont fait un moment évoquer l'hypothèse d'une atteinte de la glande hypophyse du cerveau.
Mais c'est surtout le deuxième compte rendu d'Antommarchi, écrit en 1825, quatre ans après l'autopsie, dans ses Mémoires, qui pose question. En apparence beaucoup plus complet, détaillé et littéraire que le premier, il a souvent été considéré comme le document de référence par les spécialistes. Le légiste fait même une analyse craniologique de son auguste patient dont, déplore-t-il, il n'a pas été autorisé à disséquer le cerveau.
Le plus troublant est l'apparition dans ce second rapport de lésions inexistantes dans le premier, ou présentées de façon très différente. Un poumon qualifié de normal en 1821 est devenu tuberculeux ; la description des atteintes de l'estomac et de l'abdomen s'est considérablement enrichie…
Seulement voilà. En étudiant de près la littérature médicale des années 1820-1825, les médecins Bastien et Jeandel ont eu la surprise de retrouver l'article d'un confrère français, paru en 1823, dont « des paragraphes entiers » étaient « identiques mot à mot » aux descriptions d'Antommarchi, faites deux ans plus tard, en 1825. Le légiste de Napoléon est un plagiaire et son deuxième compte rendu ne peut plus faire référence, concluent Bastien et Jeandel.
L'intégralité de l'article est disponible sur le site Internet du Monde.
« Napoléon Ier : les mystères d’une tumeur impériale » (Le Monde, 22/07/2013)
- Année de publication :
- 20130722